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Biographies

Sir Ambrose Heal (1872-1959), designer


Né en 1872, à Crouch End, Finchley (Angleterre), Ambrose Heal appartient à la quatrième génération d’une famille de fabricants de meubles de qualité établie depuis 1810 à Londres.

 

Nourri aux idées de William Morris, fondateur du mouvement Arts and Crafts, il restera attaché toute sa vie aux principes de simplicité dans le dessin et de qualité dans la fabrication, chers aux artistes de ce mouvement.

 

Après lui avoir fait apprendre son métier d’artisan ébéniste (1890-1892) chez Plucknett of Warwick, son père l’adresse à ses confrères d’Oxford Street, Graham and Biddle, dans le but de le familiariser avec le grand négoce. Dégoûté par la qualité déplorable du mobilier proposé par cette maison, convaincu que l’idéal ruskinien du beau pour tous n’est pas une chimère, il entre en 1893 dans l’entreprise familiale, Heal’s and Son, bien décidé à faire la preuve que production en série et qualité, modernité dans le dessin et tradition dans l’exécution, ne sont pas incompatibles.

 

Son œuvre le démontrera avec éclat. Il est à ce titre l’homme qui a permis à l’Arts and Crafts de dépasser ses contradictions et de sortir de l’impasse idéologique et esthétique dans laquelle se trouvait ce mouvement à la fois ultra réactionnaire et rétrograde par son refus de la société industrielle et très moderne par sa volonté de rompre avec les styles anciens et les pastiches éculés d’un style victorien à bout de souffle.

 

Ce rôle de pionnier fait de lui le premier designer anglais au sens moderne du terme et le seul tenant de l’Arts and Crafts anglais à avoir trouvé un équilibre entre les impératifs esthétiques, fonctionnels et commerciaux. Il est celui qui en faisant d’une utopie une réalité a permis à l’Arts and Crafts d’échapper au sort des Wienerwerkstatte et d’entrer dans le XXème siècle.

 

Dès 1897 Heal’s and Son exécute les premiers meubles dessinés par Ambrose Heal sous l’œil dubitatif de son père qui pourtant lui alloue une partie de ses locaux en 1898. La production est artisanale (il n’y a dans l’atelier qu’une scie circulaire et une planeuse) et il faudra attendre 1924 pour que la maison Heal s’équipe d’une machine à mortaiser. Autant dire que jusqu’à la seconde guerre mondiale la maison Heal’s and Son produit des meubles faits à la main.

 

Le succès arrive très vite. En 1899, il reçoit une importante commande : l’entier ameublement de l’Hôtel Standard à Nordkipping en Suède après avoir été remarqué à l’exposition de l’Arts and Crafts Exhibition Society à Londres.

 

Quelques commandes plus tard, il rejoint cette association (1906) et devient membre en 1910 de la Art Workers Guild. En 1913 il prend la tête de l’entreprise familiale, la mort de son père lui octroyant désormais une totale liberté.

 

Très impressionné par sa visite du Deutsche Werkbund à Cologne en 1914, il mesure l’importance du mouvement moderne naissant et introduit des formes inédites et des décors peints sur fond de laque dans de nouvelles pièces de mobilier, certes pour pallier le manque de bois de placage dû à la guerre, mais surtout pour réaliser l’aggiornamento du catalogue de la maison Heal’s & Son qui jusqu’en 1916 n’avait compté que très peu de meubles laqués, tous inspirés du folklore et très éloignés des évolutions formelles qu’Ambrose Heal avait pu observer dans les expositions continentales.

 

Il présente donc à l’Arts and Crafts Exhibition de 1916 une table d’inspiration néo-classique laquée noir chez Coote et décorée de frises géométriques multicolores par Miss Hindshaw. Dès 1918, il installe tout un étage de ses locaux de Tottenham Court Road, « The Mansard Flat », avec de nouvelles propositions colorées. La table de 1916 y figure ainsi qu’un cabinet jaune d’or et noir et une des deux tables rondes en laque noire et bleue. L’apparition de de ces tables dans l’œuvre de Ambrose Heal marque son adhésion aux évolutions du goût observable au même moment en France (Ateliers Martine), en Autriche (Sécession viennoise) et en Allemagne (Deutsche Werkbund). Malheureusement, le marché britannique des années 20 était resté très attaché au bois naturel et très peu de ces meubles ont rencontré un public en Grande-Bretagne. Ils sont aujourd’hui d’une grande rareté.

 

C’est à partir de 1923, après un autre voyage en Suède, qu’il renouvelle les finitions et la conception de ses meubles en bois naturel et commence à produire du mobilier en chêne clair, voire cérusé, ouvrant ainsi la voie à une modernisation qui fera vite écho à l’apparition du goût Art Déco en Angleterre. Contrairement à Betty Joël et à d’autres suiveurs laborieux, il restera fidèle aux solutions esthétiques et aux méthodes artisanales des Arts and Crafts tout en faisant évoluer ses créations avec le goût et les matériaux de son époque. Dès les années trente il se met à utiliser le tube d’aluminium et surtout, sous l’influence du cubisme et des créations du mouvement moderne européen (UAM pour la France, Bauhaus en Allemagne), il donne en 1931 un nouveau visage au concept de «reasonable furniture» (mobilier rationnel) qu’il avait inventé dix ans auparavant et qui s’avère une synthèse très réussie –la seule- entre la tradition Arts and Crafts et le modernisme continental.

 

Le meilleur exemple de cette synthèse en est un fauteuil de lecture en chêne à dossier inclinable, à tablette rabattable soutenue par une « gate-leg » et agrémenté d’un casier bibliothèque qui complète en 1933 l’ensemble de « mobilier rationnel » conçu par lui comme un dispositif évolutif et composable.

 

La même année, il est anobli par le Roi Georges V pour services rendus à la cause du design industriel dont il incarne avec Sir Gordon Russel une voie toute britannique

 

Il cesse son activité de designer après avoir été élu Royal Designer for Industry en 1939 et meurt couvert d’honneurs (Albert Gold Medal de la Royal Society of Arts 1954) le 15 novembre 1959 à 87 ans.

 

Collections publiques :

  • Victoria and Albert Museum, Londres.
  • Cheltenham Museum, Cheltenham.

 

Bibliographie sommaire :

  • Susanna Gooden Fox, The History of Heal’s, Ed. Heal and Son Ltd, 1984.
  • Oliver S. Heal, Sir Ambrose Heal and the Cabinet Factory, Ed. Oblong, 2014.