Luigi Caccia Dominioni (1913-2016),
ARCHITECTE
On ne peut trouver plus milanais que lui. D’abord parce que l’empreinte de cet architecte sur le paysage de la capitale lombarde, qu’il soit l’auteur ou non des bâtiments envisagés, imprègne le Milan des années 50, 60 et 70, ce qu’on peut voir presqu’à chaque coin de rue.
De fait, personne n’aura autant que lui contribué à multiplier les variantes du nouveau visage de l’immeuble d’habitation bourgeoise en “condominium” que Gardella et lui avaient inventé après 1945. Fenêtres hautes et étroites munies de volets extérieurs à claire-voie, toit en cuivre avec corniche débordante, façades en carreaux de grès cérame, bref tout un vocabulaire qui sera repris partout dans la ville pourvu que les moyens financiers alloués au projet le permettent. Ensuite parce qu’avec Gardella il fonda en 1947 la très exclusive maison Azucena qu’il porta jusqu’à sa mort en 2016 et sera comme le conservatoire du goût aristocratique milanais en matière de design moderne pendant près de 60 ans. Enfin symboliquement, il incarne par ses origines familiales et sa façon d’être et de penser le modèle idéal de l’aristocrate milanais catholique, humaniste et antifasciste. Implanté depuis le XVIème siècle dans le même palais de la place San Ambrogio, parent de toutes les grandes familles lombardes à commencer par les Visconti qui régnèrent un temps sur Milan, le hasard voulu qu’il naisse un 7 décembre, le jour de la Saint Ambroise, saint patron de la ville, dans la demeure où naquirent tous les Caccia depuis quatre siècles. La famille comptait encore dans sa propre génération un général, lui-même fils d’ambassadeur et un cardinal. Il ne manquait plus qu’un architecte.
Formé chez les jésuites puis au Politecnico de Milan sous la houlette de Luigi Moretti et du maître Piero Portaluppi, il est diplômé en 1936. Ses rencontres à l’université furent décisives. Il y fréquente Livio et Pier Giacomo Castiglioni avec qui il s’associe dès 1937 pour produire quelques pièces de design dont la radio Phonola en 1938 révisée en 1940 lors de sa présentation à la VIIème Triennale avec un immense succès. Mobilisé entre 1939 et 1943, il ne revient à Milan que pour constater l’entière destruction du Palais Caccia Dominioni. Il quitte l’Italie pour la Suisse en se promettant de le reconstruire dès la fin de la guerre. Ce fut son premier travail d’architecte en 1947. Un essai grandeur nature des solutions nouvelles définies avec Gardella appliquées à un bâtiment historique dont il ne reste rien, situé en plein cœur du vieux Milan, face à l’antique complexe architectural ambrosien, icône des milanais. Comme Albini et Gardella, Caccia privilégie une architecture moderne, antidogmatique, et respectueuse du contexte historique, social et symbolique dans lequel elle doit s’intégrer à la perfection aussi audacieuse soit-elle. Cet essai est un coup de maître. La suite fut une multitude de projets dans cette veine auquel il convient d’ajouter les immeubles de bureaux du Corso Europa en 1955 et ses nombreux édifices religieux en Lombardie. On signalera aussi parmi les grands ensembles d’habitation, l’immeuble de la via Nievo (1955-57) particulièrement intéressant pour la rupture qu’il représente avec la rythmique et la forme des ouvertures non plus composées en fonction d’un alignement régulier mais selon l’organisation du plan intérieur de chaque appartement. Fenêtres en bandeaux plus ou moins longs, en petit carrés, ou en petits rectangles apparaissant sur les façades sans qu’on puisse dire vraiment à quel étage, aussi surprenants que la véranda sur deux niveaux accrochée à un angle. D’autres suivront, prouvant le pragmatisme et la capacité d’adaptation d’un architecte qui travaillait toujours à cent ans passé ! Cette évolution vers une architecture organique est encore plus sensible dans ses derniers travaux notamment pour l’Eglise.
Enfin son talent pour faire dialoguer les bâtiments modernes avec le contexte architectural local trouve sa plus belle illustration dans la connexion entre l’Eglise San Fedele et la Chase Manhattan Bank, Piazza Meda, en 1969.
Son investissement dans la maison Azucena fut total. Non seulement il conserva en les faisant évoluer la plupart des modèles de Gardella qui, il est vrai, le méritaient bien, mais il dessina infatigablement tous les modèles de table, de luminaire, de commode, de siège nécessaires à son élégant travail d’architecte d’intérieur. Les modèles obsolètes étaient soit revus s’ils correspondaient encore à un besoin, soit éliminés et chaque année de nouvelles pièces apparaissaient.
Le design de Caccia est assez proche de celui de Gardella. Ils partagent le même système de référence puisant aux sources de la tradition milanaise et de l’Italie moderne, celle de l’Unité, celle du XIXème siècle, utilisant des globes en verre soufflé comme à la Scala, de l’acajou, reprenant la forme des lanternes de rue ou de fiacre, des éclairages de tramway, tout un répertoire urbain vernaculaire redessiné, stylisé, épuré, traité à un niveau de qualité inégalable, illuminé par l’usage du laiton poli, des vernis brillants et des laques réfléchissantes, bref de quoi réconcilier une haute société a priori imperméable au changement avec la modernité et servir d’exemple à des maisons au public plus large, ce qui au fond était la vocation initiale de cette entreprise. Parmi les pièces hors normes créées par Caccia, la plus extraordinaire est aussi une des plus anciennes : la lampe Sasso de 1947, luminaire miraculeux et rarissime dont le public n’a appris l’existence qu’en 2008 lorsqu’un exemplaire en fut présenté à notre galerie.
Caccia disparait en 2016 quelques jours avant son 103ème anniversaire.