Osvaldo Borsani (1911-1985), architecte
Osvaldo Borsani est né à Varedo en 1911. Il était le fils de Gaetano Borsani, artisan ébéniste prospère, reconnu pour la qualité de son mobilier de tous styles et suffisamment avisé pour engager en 1925 le jeune architecte moderniste Gino Maggioni afin de faire prendre à son atelier de Varedo le tournant de la modernité et de participer à la Biennale de Monza dans les meilleures conditions. Instruit des rudiments du métier dans l’atelier de son père dès l’âge de 16 ans, Osvaldo concevra pour le mobilier d’art une dévotion qu’il conserva sa vie entière. Grâce à la révolution que Maggioni opera à Varedo, la première Triennale en 1930 permit à Gaetano de compter parmi les ateliers d’arts les plus avancés. Peut-être eut-il eu tort d’évincer trop vite Maggioni au profit de son fils Osvaldo. On pourrait peut-être y trouver la raison qui fit qu’après avoir si précocement décroché une médaille d’argent pour la Casa Minima qu’il proposa à la Triennale en 1933, alors qu’il était encore étudiant au Politecnico de Milan, et pour laquelle il reçu dans Casabella les félicitations du critique Edoardo Persico, défenseur acharné du modernisme rationaliste, Osvaldo fit pendant vingt ans l’ensemblier décorateur pour une bourgeoisie milanaise imperméable au rationalisme et à ses nudités aussi poétiques soient elles. Le jeune architecte prometteur encensé en 1933 ne fit rien des encouragements de la critique et reprit l’atelier de Varedo là où Maggioni l’avait laissé. La demande de confort luxueux de sa clientèle le conduisit à considérer l’aggiornamento mené par Maggioni comme suffisant au développement d’un langage bourgeois au goût du jour inspiré par les nombreuses variantes internationales du « style moderne ». Les lourdeurs décoratives, les rembourrages rassurants et les formes arrondies qui surpeuplaient ses décors dont le cinéma italien des « téléphones blancs » répandait l’image auprès d’un public fasciné par le Hollywood des années 30 le rapprochait des Ulrich, Buffa et autres Bega dont le succès pouvait faire dire à Persico, malgré la pénétration des idées rationalistes dans Domus et Casabella, que l’Italie avait manqué son rendez vous avec la modernité.
Indifférent aux débats sur l’architecture sociale et le mobilier en série qui monopolisaient la plupart des architectes de sa génération et désormais très éloigné de la dynamique novatrice des années 20, Osvaldo Borsani sut néanmoins, comme son père avec Maggioni, trouver avec le temps une voie singulière en collaborant avec ses amis artistes au nombre desquels on retiendra Lucio Fontana et Agenore Fabbri qui apportèrent à ces meubles une ornementation en céramique ou en bronze souvent extravagante et baroque qui donne à ses créations une dimension artistique encore très appréciée aujourd’hui. On notera tout particulièrement le décor imaginé par Lucio Fontana pour la casa Gentili en 1947 et la célèbre cheminée en céramique qu’il créa pour la Casa Borsani en 1943.
Affaire magnifiquement établie dans le paysage milanais, la maison Borsani entre cependant dans l’après guerre assez désarmée devant le défi de l’industrialisation que la nouvelle Italie entend bien relever tant elle est fascinée par une Amérique devenue le bailleur de fonds du « miracle italien » et désormais principal marché à conquérir. N’ayant jamais perdu de vue sa condition d’entrepreneur Osvaldo ne manquera pas ce rendez vous là. C’est le choix de l’innovation technologique, de la production de masse, du mobilier standard et de l’expansion internationale que lui offrent les circonstances et qu’il saisit. Avec son jumeau Fulgenzio il fonde la firme Tecno en 1953 et amorce ainsi ce qui sera une des plus grandes réussites du Made in Italy. Le projet est simple: formes pures, fonctionnalisme décomplexé, collaboration avec les meilleurs architectes de sa génération, ingénierie de pointe, structures métalliques apparentes et puissamment expressives. Le jeune architecte rationaliste prometteur de 1933 réapparait miraculeusement après vingt ans d’éclipse. Il a enfin l’opportunité de donner libre cours à sa passion pour la technologie. Et c’est un triomphe.
Parmi les innombrables produits développés par Tecno on retiendra les pièces les plus iconiques.
Dès 1954 sa participation à la Triennale est un coup de maitre : il obtient la suprême récompense, le Compasso d’Oro, pour ce que tous s’accordent à considérer comme son chef d’oeuvre, le divan D70. Merveille de technologie, d’ingéniosité, d’invention formelle, cette banquette à système construite en ailes de papillon peut se transformer en lit sans qu’on ait à en cacher le mécanisme. Son zoomorphisme lui confère une poésie renforcée par l’expressivité d’une structure organique parfaite. Même Carlo Mollino s’en fit faire une paire, il est vrai capitonnée et rallongée selon son goût . Puis ce fut le célèbre fauteuil inclinable P40 en 1955. En 1957 c’est Carlo De Carli qui remporte le grand Prix de la Triennale pour le fauteuil P36 édité par Tecno, mais la même année Osvaldo Borsani signe son autre chef d’oeuvre: le lit L77 à positions multiples que s’arrachent encore aujourd’hui les collectionneurs. En 1960, nouveau chef d’oeuvre de Carlo De Carli, la chaise S33, sans doute la plus réussie des productions Tecno avec la table à transformations T92 d’Eugenio Gerli qui fut pendant trente ans le fidèle compagnon de travail d’Osvaldo Borsani et à qui Tecno devra beaucoup de sa vitalité. On signalera enfin en 1962 le fauteuil P32 et le canapé D32 qui furent un immense succès commercial autant pour l’usage domestique que pour les bureaux dont l’ameublement devenait l’activité la plus importante de la maison Tecno au fil des années. Agrémentés de petites tables basses à structure métallique tripode d’une pureté et d’une subtilité prodigieuses, ces sièges seront longtemps l’image de Tecno dans la presse internationale.
Parcours étonnant que celui d’Osvaldo Borsani, mais peut-être aussi exemplaire de la manière dont l’Italie si rétive au modernisme encore dans les années 20 est devenue en quelques décennies la patrie du design le plus créatif aux yeux du monde entier.
Osvaldo Borsani disparait en 1985.